L’influence extrême-occidentale de certains mythes grecs…

Inutile de rappeler à quel point les grecs sont fascinés par le monde au-delà des colonnes d’Hercule. Mais en lisant un passage du Critias de Platon sur le mythe de l’Atlantide [Critias, 113d-114e] on peut se rendre compte que cet imaginaire est influencé par ce que j’appellerais ‘l’Extrême-Occident’, c’est-à-dire le monde qui existe réellement au-delà du fameux détroit, plus précisément le royaume de Tartessos dans le Sud de l’Espagne et du Portugal, ainsi que l’actuel Maroc…
Je suppose que Platon, ici, pour décrire l’Atlantide, se réfère à ces contrées lointaines. Hérodote mentionne déjà ces peuples [Histoires, I, 163], et un navigateur grec, Colaïos de Samos, a franchi les colonnes d’Hercule dès 639 avant J.C. Les Carthaginois Hannon et Himilcon sont aussi connus pour avoir explorés les terres au-delà du fameux détroit.

Le premier indice est la mention du pays Gadirique. Or, Gadir est une ancienne colonie phénicienne située à l’embouchure du Guadalquivir, au-delà des colonnes d’Hercule. Aviennus, dans les Odes maritimes, en fait la capitale de l’antique civilisation tartéssienne…
Platon situe d’ailleurs l’Atlantide en face des côtes portugaises et marocaine (il s’agit de tout un continent, et non d’une petite île…), à une distance franchissable, « On pouvait alors traverser cet Océan » [Timée, 25a] ; ce qui rend la ressemblance plus crédible et donc par le même coup l’existence même de l’Atlantide pour les contemporains de Platon…

Or ce pays de tartessos est connu par les grecs (et surtout par les phéniciens !) pour leur richesse en mines d’étain, d’or et d’argent. Ce n’est donc vraisemblablement pas par hasard que Platon décrit des murs d’enceinte revêtus « d’étain fondu » [Critias, 116a] ; Sachant que ce minerai, en lui-même, n’a rien d’aussi gracieux que l’or et l’argent, mais que son intérêt réside principalement en ce qu’il est un des éléments essentiels du Bronze… Pourquoi alors, parler de ce minerai seul, si ce n’est en référence aux mines d’étain d’Ibérie ?

Il y a aussi cette colline au centre de l’île, que l’on a entouré d’une muraille circulaire protégeant une autre muraille qui, elle, protège à son tour le palais [Critias, 116a] Or, on peut y voir là l’architecture typique de la civilisation des Castros héritée des Tartessiens, c’est-à-dire des villages situées en hauteur sur des collines et protégées par plusieurs enceintes de formes circulaires. Il n’était pas courant en effet que les Grecs aient des murailles circulaires pour protéger leurs cités. Bien que le cercle soit dans leur univers un symbole de perfection… Ne peut-on pas alors supposer ici un trait de caractère presque ‘tartessien’ ?

Platon enfin parle des « fonds vaseux de l’Océan ». Cela correspond tout à fait à la description que l’on retrouve dans le ‘périple de Hannon’. Il est donc évident que Platon s’inspire ici des récits de voyages au-delà des colonnes d’Hercule.

Mais d’autres mentions sont aussi révélatrices : ainsi Platon mentionne Atlas comme le premier roi d’Atlantide. Il donna son nom à l’île ainsi qu’à l’Océan qui l’entoure… Or on se souvient qu’Atlas suite à un châtiment de Zeus, devait porter la Terre éternellement ; L’évolution du mythe, où les premiers physiciens changeaient en agents physiques les êtres créés par la mythologie, donna à Atlas une forme de Montagne que l’on connaît aujourd’hui sous ce nom : l’Atlas marcocain. En effet, cette montagne semblait porter le ciel, parce qu'elle était située à l’extrémité de l'Occident et que les Grecs y voyaient la fin du monde. On ne trouve mention de cet Atlas géographique qu’après l'époque du voyage de Colaïos de Samos à Tartessos en 639 avant J.-C.

Déjà Homère dans l’Odyssée, fit voyager son héros Ulysse jusqu’au « bout des mers » :

« Il est vivant, mais captif, au bout des mers, qui sait ? dans une île aux deux rives… »
Odyssée, I, 176-213

« Si j’ai le cœur brisé, c’est pour Ulysse, pour ce sage, accablé du sort, qui, loin des siens, continue de souffrir dans une île aux deux rives. Sur ce nombril des mers, en cette terre aux arbres, habite une déesse, une fille d’Atlas, cet esprit malfaisant, qui connaît de la mer entière, les abîmes et qui veille, à lui seul, sur les hautes colonnes qui gardent, écarté de la terre, le ciel. »
Odyssée, I, 26-63

Ne peut-on pas voir dans cette « île aux deux rives » les côtes du Maroc de part et d’autre des du détroit de Gibraltar ? Certains identifient d’ailleurs la grotte de Calypso au Maroc très précisément.

Homère, tout comme Platon, s’inspire donc vraisemblablement des terres au-delà du détroit de Gibraltar, et qui constituent un extrême-occident fascinant pour tout le monde grec de l’époque.