SOURCES : Grégoire de Tours, Histoire ecclésiastique des Francs, 591 après J.C.

Nous reproduisons ci-dessous en extrait de l'Histoire de Grégoire de Tours mettant en scène un dialogue entre un franc catholique et un wisigoth arien

« Le Roi Léovigild anvoya Agila comme ambassadeur auprès de Chilpéric ; c’était un homme d’une intelligence nulle et dépourvu de raisonnement méthodique, mais complètement perverti par la haine de la loi catholique. Comme sa route l’avait amené à Tours, il se mit à nous harceler au sujet de la foi et à attaquer les dogmes de l’Eglise : ‘Les évêques antiques, disait-il, ont prononcé une sentence déraisonnable lorsqu’ils ont déclaré que la Fils est égal au Père, car comment, ajoutait-il, pourrait-il être égal au Père en puissance celui qui dit : « Le Père est plus grand que moi » ? Il n’est pas raisonnable en effet, qu’on le considère comme le semblable à celui auquel il se déclare inférieur, auquel il s’est plaint en gémissant dans la tristesse de la mort, à qui en dernier lieu il a recommandé en mourant son âme comme si lui-même n’était doté d’aucun pouvoir. D’où il ressort avec évidence qu’il lui était inférieur à la fois par l’âge et la puissance paternelle.’ Là-dessus, je l’interroge moi-même, lui demandant s’il croit que Jésus-Christ est le fils de Dieu et s’il confesse que celui-ci est la sagesse de Dieu, sa lumière, sa vérité, sa vie, sa justice. Il répond : ‘Je crois que le Fils de Dieu est tout cela’. Et je réplique : ‘Dis-moi donc quand le Père a pu exister sans sagesse, quand il a pu exister sans lumière, quand il a pu exister sans vie, quand il a pu exister sans vérité, quand il a pu exister sans justice. De même que le Père n’a pu exister sans ces choses, de même il n’a pu exister sans le Fils. Quant au paroles que tu m’objectes qu’il a dites : ‘le Père est plus grand que moi’, sache qu’il les a prononcées après s’être humilié en se faisant chair afin que tu n’ignores pas que tu dois ta rédemption non à sa puissance mais à son humiliation. […] tu devrais te souvenir qu’ailleurs il a dit : ‘Moi et mon Père nous sommes un’
[…]
‘Mais vous, comme je l’ai dit plus haut, vous n’avez aucune idée de la Sainte Trinité et la mort de votre fondateur lui-même à savoir d’Arius a montré clairement combien est malfaisante votre secte perverse.’ A cela il répondit : ‘Ne blasphème pas contre une loi que tu n’observe pas, car nous, bien que nous ne partagions pas vos croyances, nous ne blasphémons pas pourtant contre elles, parce qu’on ne considère pas comme un crime l’observation de telle ou telle croyance. Nous disons même couramment que ce n’est pas une faute quand on passe entre un autel païen et une église de Dieu, de les révérer l’un et l’autre.’ Constatant sa sottise, je déclarai : ‘Comme je le vois, tu te proclames à la fois défenseur des gentils et le partisan des hérétiques, puisque tu salis les dogmes de l’Eglise en même temps que tu prêches qu’on doit adorer les ordures des païens. […] C’est alors que lui, pris d’une fureur et de je ne sais quelle folie, s’écria en grinçant des dents : ‘Que mon âme s’échappe des liens de ce corps avant que je reçoive une bénédiction d’un évêque de votre religion.’ Et je répliquai : ‘Le Seigneur ne laissera pas tiédir notre religion et notre foi à tel point qu’il nous faille distribuer sa sainteté aux chiens et exposer des perles précieuses sacrées à des porcs dégoûtants.’ Sur quoi abandonnant la discussion, il se leva et s’en alla. Mais ensuite, après qu’il fut de retour en Espagne, il tomba malade et, forcé par la nécessité, il se convertit à notre religion. »

Grégoire de Tours, Histoire ecclésiastique des Francs, Tome I, livre V, XLIII.

Certes, l’ambassadeur wisigoth ne brille pas dans cet échange par ses qualités rhétoriques, mais Grégoire de Tours, quant à lui, répond d’une manière qui l’honore vraiment peu : Répondre à une citation par une citation, tendre des pièges sophistiques afin de perdre l’adversaire, et finalement l’insulter lui et ses croyances pour le faire abandonner la discussion, tout cela montre avec quel cynisme, quel dogmatisme et quel mépris les catholiques ont pu considérer les croyances autres que la leur.